Aujourd’hui, avec ce beau titre digne d’un sujet de dissertation, je vais vous partager quelques réflexions sur l’écriture et la difficulté de choisir parmi un tas de possibilités, qui sont autant de variations du scénario.

Flashback : en juillet, en plein Camp NaNoWriMo, j’écrivais à Laurence, mon amie et relectrice, que j’étais bien embêtée parce que « Nos Vrais Maîtres » ne comportait pas assez de mots pour terminer mon défi d’écriture. C’est alors qu’elle m’a suggéré de proposer une version alternative à la nouvelle. Une version qui posséderait une autre fin.

Etant celle que je suis, j’ai d’abord paniqué parce que cela me semblait être une idée bizarre et imprévue, donc pas adaptée à la situation dans laquelle j’étais. Puis nous avons discuté ensemble de notre relation aux possibles dans les récits.

Et puisque je suis très fan des aventures textuelles et des visual novels, ils vont s’inviter dans ce billet.

On m'a suggéré d'illustrer cet article avec Buffy.

On m’a suggéré d’illustrer cet article avec Buffy. Je sais, ça n’a pas grand-chose à voir avec le sujet. Mais c’est Buffy.

Quand je prépare un récit, comment ça se passe ?

Mes récits ont une construction semblable : j’imagine des personnages, une introduction, puis je déroule jusqu’à la fin. J’ai des images qui me viennent en tête, des sensations parfois et je suis un chemin qui me paraît logique, un peu comme je déroulerais un fil d’une pelote.

Puisque c’est ainsi que me viennent les choses, je fais très peu de retours en arrière ou de prophéties dans mes histoires. C’est pour cela que lorsque j’ai écrit « Impitoyable » , j’ai été troublée par l’obligation de parler de plusieurs époques. Je suis très admirative de romans et d’histoires qui jouent de la temporalité, comme le Déchronologue de Stéphane Beauverger. Même dans ce roman qui s’amuse de la chronologie, il y a une logique dans les actions des personnages. Des événements ont des causes et des conséquences. Ces dernières sont écrites et les lecteurs n’ont pas voix au chapitre.

Quand Laurence m’a dit que je pourrais faire une autre fin et laisser les lecteurs choisir, j’ai pensé à la possibilité qu’un événement ait plusieurs conséquences (puisqu’il y a plusieurs fins, il faut bien qu’il y ait rupture dans un moment du récit). Cela me paraît difficile dans le format d’une nouvelle qui, dès la rédaction, est très cadré. Quand je travaille un roman, je laisse volontairement des arcs narratifs en suspens dans mes brouillons, en me disant que je ne colle jamais parfaitement à mon plan, donc que je choisirai ce qui me paraîtra logique à la fin de ces arcs. Dans une nouvelle, puisque tout est plus concentré, puisque la chute est importante, je prévois tous les événements avant d’écrire.

Il me paraît donc improbable de proposer deux versions d’une nouvelle… à moins de le prévoir dès le départ comme un exercice d’écriture. Et encore, je trouve qu’on se détacherait alors du genre de la nouvelle.

Quand je rédige un roman, je ne cherche pas à laisser des ouvertures, des choix. Je détermine ce qui me semble le plus pertinent et/ou le plus intéressant et j’écris.

Telle Buffy, je cherche un équilibre entre le style et l'efficacité (ce qui n'est pas simple).

Telle Buffy, je cherche un équilibre entre le style et l’efficacité (ce qui n’est pas simple).

Le choix amène l’interactivité

Si je peux choisir entre plusieurs conséquences, je peux interagir avec l’œuvre. J’en change le sens, je l’adapte à ce qui me semble juste.

Le rôle du lecteur, initialement, est de recevoir un discours. Lire, c’est découvrir un univers, ou une pensée, ou une vision. C’est y réfléchir. J’adore lire, parce que j’aime beaucoup écouter. Plus j’écris, plus mon regard de lectrice change. Mais, encore et toujours, j’ouvre un livre pour qu’on me raconte une histoire.

Lorsque je peux influencer le récit, je me l’approprie. Je ne suis plus tout à fait lectrice, puisque je maîtrise une partie du texte. Et puis, peut-être que, du coup, j’ai une idée arrêtée sur les événements qui ont lieu dans l’histoire et sur leur signification ?

Dès lors, est-ce que je suis lectrice ou est-ce que je suis joueuse ? Si vous me suivez sur les réseaux sociaux (surtout sur Twitter) et si vous lisez ce blog régulièrement, vous savez que je joue beaucoup aux jeux vidéo et aux jeux de rôles. J’apprécie ces activités parce que la narration y a une grande place. Comme quand je lis, j’écoute. Mais je peux aussi agir, choisir comment faire face à un problème, choisir la voie que je veux suivre. Je me sens plus passive quand je lis que quand je joue (attention : la passivité n’est pas une mauvaise chose).

Peut-être, mais lire un livre c'est plus reposant !

Peut-être, mais lire un livre c’est plus reposant !

Les aventures textuelles

J’aime beaucoup les aventures textuelles. Je m’étais essayée à la rédaction de l’une d’entre elles en début d’année, « Cyber Bubble Tea. » Quand j’étais plus jeune, je dévorais les Livres dont vous êtes le héros. Et déjà, je me posais une question : est-ce que je lis ou est-ce que je joue ?

Je n’ai pas trouvé la réponse. Je crois que les aventures textuelles sont entre les deux : on lit (soit sur un livre, soit sur un écran) et on choisit parmi les différentes possibilités offertes par le jeu. Est-ce qu’on prend la porte de gauche ou celle de droite ? Quelle arme choisit-on ? Comment s’adresse-t-on à un autre personnage ? Autant de choix qui modifient autant le regard sur le personnage que le rapport à l’histoire. Je ne vis pas forcément les mêmes événements qu’une autre personne qui est penchée sur la même aventure textuelle que moi.

Parfois, les aventures textuelles offrent une vraie fin, vers laquelle convergent les différentes voies. Mais de plus en plus, celles que je découvre ont des fins très différentes les unes des autres. Je me souviens notamment d’une de mes dernières aventures où mon avatar est devenue maire d’une ville lors de ma première partie, puis démone rasant tout sur son passage à la seconde. Laquelle des deux est la vraie fin ? Si c’était un livre, je ne pourrais pas me poser la question, cela me paraîtrait évident.

Résumé des aventures textuelles par Buffy.

Résumé des aventures textuelles par Buffy.

Les visual novels et les jeux d’aventure graphique

Les visual novels, que l’on peut traduire par « romans visuels » , sont des jeux vidéo qui proposent généralement de découvrir une histoire en faisant des choix à certains moments. Selon les choix, on va arriver vers une fin particulière, ce qui mène souvent à jouer plusieurs fois au même jeu pour en découvrir les différentes versions de l’histoire. Il existe des visual novels qui ne proposent aucun choix. Il existe des visual novels avec des mini-jeux. Mais, pour simplifier, je dirais que le visual novel, c’est une aventure textuelle avec des illustrations.

Si les aventures textuelles sont à mi-chemin entre le livre et le jeu vidéo, alors les visual novels seraient à mi-chemin entre la bande dessinée et le jeu vidéo. C’est un genre que j’apprécie beaucoup, surtout depuis que j’ai découvert des petits studios de création qui font des jolies choses (à savoir que cela demande peu de budget, donc beaucoup de monde peut s’y mettre… et on peut trouver de tout et de n’importe quoi).

Les jeux d’aventure graphique ont une interface graphique et un gameplay (et donc un budget) plus poussés. Je mettrais les jeux du studio Telltale Games dans cette catégorie. Ceci dit, ils sont intéressants quand on pense à la gestion des possibles dans un récit. Telltale Games font des jeux où la narration est importante. Régulièrement, le jeu demande de prendre des décisions qui auront un impact sur le récit. Néanmoins, j’ai eu l’occasion de voir que cet impact est très limité et que, très souvent, le jeu ramène les joueurs vers une trame narrative commune. Leurs jeux sont plaisants, on passe de bons moments devant, mais ils n’offrent pas tant de possibilités. Les joueurs n’ont pas autant d’influence qu’on pourrait le penser.

J’ai souvent un rôle plus déterminant dans un visual novel que dans un jeu d’aventure graphique.

Mais nooon, je ne joue pas pour des chatons !

Mais nooon, je ne joue pas pour des chatons !

Est-ce qu’en proposant un choix, on pense vraiment à toutes les possibilités ?

Quelle belle question, hein ?

Elle me travaille beaucoup, parce que j’aimerais écrire des aventures textuelles, mais que je ne suis pas certaine de choisir les bons embranchements dans les histoires. Laisser un choix dans un récit, c’est accepter qu’il y ait plusieurs conséquences à une même situation. Chacune de ces conséquences doit faire sens et être intéressante.

J’y pense aussi parce que, quand je prépare un scénario pour du jeu de rôle, je ne pense pas toujours à tout. Mes joueurs me surprennent, parce que je n’ai pas réussi à prévoir les choix qu’iels font (ce qui m’a appris à préparer autrement mes parties).

Je suis du genre à vouloir être la plus complète possible. Mais c’est le travail d’une vie que de tout prévoir. Est-ce que la personne qui découvrira mon aventure textuelle pourrait être frustrée par les choix que je lui propose ? Comment déterminer ce qui est pertinent ? Est-ce que c’est aussi évident que quand j’écris un roman ?

And what if we don't ?

And what if we don’t ?

Des textes et des jeux à découvrir

J’ai envie de vous conseiller quelques œuvres pour réfléchir à la narration et au traitement des possibles.

Tout d’abord, je vous en ai parlé plus haut, mais je vous recommande le Déchronologue de Stéphane Beauverger. Ce n’est pas la première fois que j’en parle ici. S’il ne parle pas vraiment des possibles, ce roman est un très bel exercice sur la chronologie.

Si vous voulez vous intéresser aux aventures textuelles, je ne peux que vous parler des jeux Choice of Games. Parmi eux, celui qui me semble le plus proche du sujet de cet article, c’est Creatures Such as We. C’est un de mes jeux (ou un de mes livres ?) préférés.

Vous préférez un visual novel ? Plongez-vous dans Zero Time Dilemma. Bon, le problème c’est que c’est le troisième opus d’une saga, Zero Escape, qui est un mélange de visual novel et d’escape room (votre personnage est enfermé dans une pièce et doit trouver comment en sortir). J’ai moins aimé les deux premiers jeux, c’est vraiment le troisième qui est une belle oeuvre sur le traitement des possibles dans un jeu vidéo. Si vous avez le courage d’essayer tous les jeux, allez-y ! Sinon, essayez de décrypter un wiki. Mais ne débutez surtout pas la saga par le troisième opus, vous risqueriez de ne rien comprendre.

Un jeu d’aventure graphique ? Pour le plaisir, je vous conseille Life Is Strange.

Et vous, qu’en pensez-vous ?

Après vous avoir écrit cet article, je me demande s’il n’y a pas moyen de se jouer de ces genres littéraires et vidéo-ludiques. Ne pourrait-on pas renverser les codes ?

C’était un texte de réflexions et je ne suis pas du tout certaine d’avoir pensé à tout…

Je serais très curieuse de connaître vos avis sur le sujet et d’en discuter avec vous. Rendez-vous dans les commentaires (même si c’est juste pour nous faire découvrir des œuvres sur le sujet) !